Qu'est-ce que ça veut dire le tissu de l'âme?
Gilles Deleuze
Qu'est-ce que ça veut dire, le tissu de l'âme?
Ce qui compose le tissu de l'âme, nous explique Leibniz, il ne faut pas croire comme ça que l'âme soit une espèce de balance qui attend les poids sur elle. Le tissu de l'âme c'est un fourmillement, un fourmillement de petites inclinations -retenez bien le mot- un fourmillement de petites inclinations qui - pour reprendre notre thème, ce n'est pas une métaphore, qui ploie, qui plie l'âme dans tous les sens. Un fourmillement de petites inclinations. (...)
Comme si mille petits ressorts…vous vous rappelez au tout début, le thème du ressort constant chez Leibniz, en fonction de la force élastique…si la force est élastique, alors les choses sont comme mues par de petits ressorts. Là on retrouve mille petits ressorts. En d'autres termes vous ne cessez de fourmiller. Et c'est comme si cette espèce de tissu vivant de l'âme ne cessait pas de se plier dans tous les sens. C'est une espèce de prurit. L'inquiétude est un prurit. L'âme est perpétuellement dans cet état de prurit. Et Leibniz, dans un très beau texte, nous dit : c'est le balancier, et le balancier, en allemand, dit-il, s'appelle précisément : inquiétude !
Gilles Deleuze*
Mille petits ressorts
C'est curieux comme la photographie de Nadar me semble rendre compte du monde à deux étages de Leibniz, tel que vu au travers du filtre de Deleuze, le monde de la matière, le monde d'en bas et le monde sensible, le monde des replis de l'âme, le monde d'en haut. Tout se passe, dans les portraits de Nadar, comme si il y avait renversement du monde d'en haut et du monde d'en bas, comme si le sensible s'était entièrement imprimé dans la matière, comme si le vêtement, les plis du vêtement étaient le visible du caché, la révélation de l'intériorité des êtres, si bien que les tressaillements du sujet, ses inquiétudes, les vérités mouvantes de son être seraient tout entier lisibles dans les plis et la matière de ses vêtements et non plus dans les traits instables de son visage. Comme si ce qui s'imprimait sur la plaque de verre c'était ce fourmillement de mille petites inclinations que décrit Deleuze, ce tressaillement du vivant qui nous étreint quand nous regardons les portraits de Nadar. La voix de Deleuze, sa pensée en mouvement serait comme un équivalent de la matière de Nadar, la solution sensible qui révèle un pan des plis cachés du monde.
*Les cours de Gilles Deleuze, Deleuze-Leibniz 24/02/1987,site de Richard Pinhas qui héberge les retranscriptions des cours de Deleuze à Vincennes.
1 Nadar, Gustave Coubet, détail
2 Nadar, Théophile Gautier, détail
3 Nadar, Gustave Doré, détail
4 Nadar, George Sand, détail
5 Nadar, Monet, détail
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