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16.10.16

Mapping Copenhague onto my Skin.

Everyday, I walk myself into a state of well-being and walk away from every illness. I have walked myself into my best thoughts, 
and I know of no thought so burdensome that one cannot walk away from it. 

 Søren Kierkegaard*



Un jour on construira des villes pour dériver.

Guy Debord







New York était une ville où l'on respirait sans gêne... une ville où tout semblait possible. A l'image du tissu urbain, le tissu social et culturel offrait une texture criblée de trous. Il suffisait de les choisir et de s'y glisser pour atteindre comme Alice de l'autre côté du miroir, des mondes si enchanteurs qu'ils en paraissaient irréels ...Il suffisait d'un peu de culture et de flair pour que s'ouvrent ... dans le mur de la civilisation industrielle, des portes donnant accés à d'autres mondes et à tous les temps. Nulle part, sans doute, plus qu'à New-York, n'existaient à cette époque de telles facilités d'évasion. Elles semblent presque mythiques aujourd'hui où l'on n'oserait plus rêver de portes : à peine de niches où nous pourrions encore nous blottir.



Voilà New-York telle que Claude Lévy-Strauss la décrit dans Tristes tropiques. Quelle ville aujourd'hui pourrait prétendre à ces doublures utopiques, à ces seuils, à ces passages dans d'autres mondes et d'autres temps ? La plupart des villes d'Europe et d'horizons plus lointains semblent pinterestées. D'un bout à l'autre de la planète, les mêmes enseignes, les mêmes uniformes vestimentaires, les mêmes assiettes, le même tropisme esthétique. Où sont les marges, les trous, les niches ? Pourquoi voyager encore si tout converge et se ressemble ?  Quelque chose résiste pourtant, quelque chose d'indéfinissable, d'impalpable, une trace comme le fantôme d'une odeur, d'un son, quelque chose qui ne serait accessible qu'au flâneur des deux rives, au marcheur infatigable, à celui qui saurait se perdre et s'oublier.

De plus en plus ces trous dont rêvaient Claude Lévy-Strauss se concentrent dans les quartiers périphériques, dans les espaces ignorés des visiteurs, le long de lignes de chemin de fer, dans d'anciennes friches industrielles, dans les gares, les aéroports, les tunnels de métro et parfois à l'autre bout du spectre dans les banlieues résidentielles. Certains lieux qui pourraient être définis comme des hétérotopies, peuvent parfois assumer cette fonction de suspendre le temps et l'espace ; les églises, les cimetières condensent le précipité de l'histoire des peuples que nous visitons, conservent les lois les plus profondes qui régissent leur manière de vivre ensemble, naturalisent leurs croyances anciennes.  En traversant le cimetière Assistens de Copenhague on est d'abord frappé par sa grande ressemblance avec le cimetière Melaten de Cologne. Cependant à y regarder d'un peu plus près on s'aperçoit que les monuments aux morts sont plus discrets à Copenhague. Ils sont le reflet d'une gradation de sensibilités que l'on pourrait cartographier en lui superposant un autre calque, celui des différentes confessions religieuses réformées qui ont touché les pays du Nord de l'Europe et façonné leur rapport au monde et aux autres. Dans le cimetière Assistens, les différences sociales sont très peu marquées, peu de grands monuments, aucun espace fermé ou enclos, une grande ouverture qui permet à la nature de reprendre ses droits, parfois juste une collection de pierres posées les unes à côté des autres gravées de noms effacés par l'usure des saisons.

On peut penser à une écologie relictuelle, un conservatoire de l'invisible et de l'indicible, des silences. A moins que ce quelque chose qui résiste ne puisse s'objectiver mais soit de l'ordre de l'intériorité ? Une certaine disposition à la méditation active, l'aptitude à se rendre, comme le papier photographique, sensible aux impressions pour capturer l'instant, la possibilité de trouver dans la contemplation d'une étendue froide et humide d'eau couleur de charbon l'étincelle d'une épiphanie.



*Søren Kierkegaard, lettre à Henriette Lund, 1847





Se promener dans Nørrebro et visiter le Cimetière Assistens, un des plus beaux jardins de Copenhague. Y chercher les tombes de Hans Christian Andersen et de Søren Kierkegaard. Centre culturel dans ses murs et brocante tous les samedis matins d'avril à octobre. Faire une pause chez Grød pour manger porridge ou risotto. Nombreuses boutiques vintage et 2nd hand. 







Jægersborggade 50

2200 København N



P - A - R 

Proper Attire Requested
2nd hand for men 

Jægersborggade 45

2200 København N.





Guy Debord, Theory of the derive here et en français .



Photographie : Céline Boyer, Empreintes

8.10.14

The Voice of Things. Les secrets de l'entr'ouvert


A Janus, dieu des commencements et des fins,
 des choix, des clés et des portes






















Une porte ouverte dont la présence au premier plan fait la part belle à son chambranle et à son envers panneauté, une autre à peine esquissée dont la forme cintrée ne laisse entrevoir son ouverture que par son absence, signifiée par un pan de lumière plus intense, les plis d'un lé de rideau dans l'ombre se substituent à la présence d'un majordome silencieux qui présiderait à l'ouverture et à la fermeture, au passage et au chemin ; un carrelage en damier accentue la perspective pour mieux orienter notre regard vers le secret de cette porte qui se dérobe dans l'élévation vers la lumière, vers le théâtre de l'entr'ouvert de la peinture d'intérieur du Siècle d'or hollandais. La frontière objet-sujet s'abolie dans la douceur des dégradés de gris et le velouté d'une impression aux pigments, dans les jeux de lignes et de plis d'une écriture de lumière. L'oeil se tient sur cet entre deux où il recueille l'énergie des mutations, des passages et des flottements d'un monde où le silence remue, où les frontières vacillent, où n'est pas perçu ce qui croit percevoir, où croît et s'accroît la vie muette et profonde des choses.* 





LES PLAISIRS DE LA PORTE


 Les rois ne touchent pas aux portes.


 Ils ne connaissent pas ce bonheur: pousser devant soi avec douceur ou rudesse l'un de ces grands panneaux familiers, se retourner vers lui pour le remettre en place, - tenir dans ses bras une porte.


 ... Le bonheur d'empoigner au ventre par son nœud de porcelaine l'un de ces hauts obstacles d'une pièce; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l'œil s'ouvre et le corps tout entier  s'accommode à son nouvel appartement.


 D'une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s'enclore, - ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huilé agréablement l'assure.      




Francis Ponge,  Le parti pris des choses



Friederike von Rauch


La Galerie Particulière 
16 rue du Perche 
Paris 3

La Galerie Particulière
14 place du Châtelain
1050 Ixelles Bruxelles 





Photographies © Friederike von Rauch, Série Sleeping Beauties, 2011

*Texte, J'attends


31.7.14

Heterotopias (2) . La Chambre Intérieure. En passant par Illiers-Combray.



Nos seules fenêtres, nos seules portes sont toutes spirituelles...

Gilles Deleuze, Proust et les signes


































... Et j'adore autant que vous certains symboles. Mais il serait absurde de sacrifier au symbole la réalité qu'il symbolise.

Marcel Proust, Le temps retrouvé





Est-il possible de croire à une réalité extérieure ou bien est-il possible de renoncer à croire à une réalité extérieure, chacun selon sa sensibilité, ses lectures, son histoire, ou l'heure du jour se rangera sous l'une ou l'autre de ces interrogations qui renvoie à la question de la transmutation de la matière par la puissance de l'imagination. Les lieux, les espaces, les paysages, les arbres, les ciels, les portes, les fenêtres, les escaliers, les éclairages que nous portons en nous communiquent entre eux d'une manière unique à chacun d'entre nous et créent cet espace intérieur où la qualité d'un monde, le nôtre et ceux dont nous sommes pétris est tout entière condensée et dématérialisée. Cette chambre intérieure que nous portons en nous et qui nous définit plus sûrement que nos particularités physiques ou les faits de notre vie est faite d'allers et retours incessants et permanents entre la réalité physique ou ce que nous prenons pour telle et l'espace agrandi, démultiplié, réfracté par la matière lumineuse de notre imaginaire. C'est pourquoi on ne voit rien dans la maison de tante Léonie, doublement rien puisqu'il y a longtemps qu'elle a cessé d'être la maison de la tante pour devenir un lieu classé et puisque ce lieu que nous poursuivons n'est que la recréation d'un lieu rêvé où les portes de l'espace et du temps se sont entr'ouvertes pour laisser entrevoir cette transmutation même de la matière à l'oeuvre dans l'art. Pourtant par un renversement du plein et du vide chacun, à sa manière, peut remplir ce lieu et en faire une chambre d'écho à la voix de Marcel. 




Par l’art seulement, nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et autant qu’il y a d’artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l’infini...

Marcel Proust, Le temps retrouvé




L'art est une véritable transmutation de la matière. La matière y est spiritualisée, les milieux physiques y sont dématérialisés, pour réfracter l'essence, c'est à dire la qualité d'un monde originel. Et ce traitement de la matière ne fait qu'un avec le "style". 
Etant qualité d'un monde, l'essence ne se confond jamais avec un objet, mais au contraire rapproche deux objets tout à fait différents, dont on s'aperçoit justement qu'ils ont cette qualité dans le milieu révélateur. En même temps que l'essence s'incarne dans une matière, la qualité ultime qui la constitue s'exprime donc comme la qualité commune à deux objets différents, pétris dans cette matière lumineuse, plongés dans ce milieu réfractant.* 


*Gilles Deleuze, Proust et les signes, PUFPerspectives critiques, 1983, première édition 1964




Illiers Combray

Eure-&-Loire


Link: Gilles Deleuze,  Proust and Signs, University of Minnesota Press, 2000 
Photos © J'attends...