30.3.13

Jours de printemps. Sous le ciel du voyage, Bashô et Frédéric Clément















Jusque dans tes cheveux 
Le parfum 
Des jeunes herbes


Plus pâle qu'aux jours de neige
L'éclat bleu
 Des pousses de rhubarbe



Que jaillisse un poème 
Différent de moi
Premier cerisier



Le souvenir des parents 
Sans cesse 
-- Cri d'un jeune faisan



L'extase des pélerins 
Au mont Hatsuse
Sous les cerisiers




Pétale après pétale
Tombent les roses de Chine
-- Fracas des eaux








La poésie de Bashô est indissociable de sa discipline spirituelle et de ses nombreux voyages au travers du Japon. En quête d'un chemin où s'ouvrir au monde et s'en protéger, Bashô a cherché à rendre les émotions liées au passage des saisons et à leur déclin dans des poèmes contraints à un rythme de cinq-sept-cinq syllabes.  La rigueur de composition et les allusions ténues à un découpage de saisons plus marqué que le nôtre se perdent parfois à la traduction. Dans Jours de printemps, Bashô évoque quatre moments de printemps: le premier printemps, la mi-printemps, les trois lunaisons de printemps et le déclin du printemps. Le rapport  étroit que les Japonais entretiennent à la nature leur permet de situer précisément le moment de la saison auquel est associée l'émotion capturée par le poème. Le prunier fleurit bien avant le cerisier, la violette après le camélia mais avant les premiers bourgeons du saule. Les pousses de rhubarbe ne sont plus si pâles quand tombent pétale après pétale les roses de Chine. Les fleurs de glycines et de pêchers ont été emportées par les eaux délivrées avant que les jeunes herbes exhalent leur parfum. Le calendrier des pèlerinages traditionnels et des nidifications des oiseaux nous sont des repères encore moins accessibles pour dater l'avancée des saisons.  










Frédéric Clément est un auteur et illustrateur français passionné de poésie, "de déambulation et de rêveries dans les musées". Il a publié Le jeu des Fleurs Hanafuda aux éditions Philippe Picquier en 2008 et Bashô le fou de poésie en 2009 aux éditions Albin Michel.





1 Frédéric Clément, Bashô! Toujours Bashô!, haikus visuels 
2 Portrait imaginaire de Bashô par le poète Yosa Buson










20.3.13

Narrative impulse. As Strong as a General



 La cellule de moi-même emplit d’étonnement
La muraille peinte à la chaux de mon secret. 

Pierre Jean Jouve, Les Noces, 1925-1931















An abandoned cottage in the chinese province of Chongqing still remains an enduring mystery. Nobody knows who felt the overpowering compulsion to cover its walls from top to bottom with intriguing chinese calligraphy. It is believed to be the work of a vagrant who has now disappeared from the place, feeling the urge to leave his secret penned on walls behind him. His narrative has now established itself as an epic thriller masterpiece widely circulating on the net.
One excerpt reads: "I was 17...  I have reactions like lightning, hearing like a bat, my vision is like a hawk, and I am as strong as a general."
Unfortunataly no one knows who is the author and why he scrawled his text on the antic panels like tattoos. 


It made me think of William Faulkner's home where he used walls for notetaking and probably provoking his wife too. The legend says that he penned the outline of the seven-day plot of A Fable on the panels of his Mississippi office. Her outraged wife had the walls repainted. Faulkner rebelled, rewrote his text and had the walls shellacked to ensure permanent record writing, the remains of which can be seen today 
at Rowan Oak.   























1, 2 Photos Daily Express UK, 2009 
3, 4 Photos du bureau de William Faulkner at Rowan Oak 
5 Henri Le Fauconnier, Portrait cubiste de Pierre Jean Jouve, 1909 sur le site de Pierre Jean Jouve 





12.3.13

Mandala. Mikaïl Porollo's Offer to Stillness and Perfection





































Everywhere I went, looking up and around me, I was welcomed by the quiet symmetry of things. It all looked so solid and still, calm and contained but at the same time fleeting and fragile; an enchanting kaleidoscope of light, colour and shape. This harmony of form became my mandala. I found myself wanting to capture and commit to memory these moments of recognition. It was the best way I had of renewing my relationship with Belgium and the rest of Europe, of continuing a familiar conversation with fresh curiosity.


Mikhaïl Porollo






Mikaïl Porollo's work confronts us with 'seeing' issue. How do we see and how different cultural identities and background influence our sense of harmony and form? With his work in progress Perfection of Forms he set out to portray round ceilings throughout Europe. He focused on capturing harmony and balance in  "dressed" architectural constructions, offering us a new perspective on cultural representations. On a deeper level his photographs work as a meditation experience and you may perceive them as enlightning mandalas.




Mikaïl Porollo
Christa Reniers Fusion Gallery

February 8 - April 21 2013

61 rue Lebeau 
1000 Bruxelles

















See his project Goddesses where he manipulates portraits by creating a non existent symetry of his sitters' faces.






1 Centre for Fine Arts, Brussels 2 Halle Gate, Brussels 3 Ravenstein Gallery, Brussels 4 Palace of music, Barcelona 5 Great Mosque, Brussels 6 Koelkelberg Basilica, Brussels 7 Berlin Cathedral, Berlin All  photographs,©  Mikaïl Porollo







10.3.13

L'extase de l'espace. Ernest Pignon Ernest et le renversement des signes




Elle ne paraît que pour se précipiter de nouveau dans un gouffre plus profond. Elle tombe d'abîme en abîme, de précipice en précipice, jusqu'à ce qu'enfin elle tombe dans l'abîme de la mer, où perdant toute figure, elle ne se trouve plus jamais étant devenue la mer même.



Madame de Guyon, citée par Ernest Pignon Ernest*































De la représentation à la présence





Quand le vide devient le lieu du plein, quand l'absent devient la seule présence, quand l'inversion des codes et des signes fait advenir l'espace du dedans, quand le reflet devient le lieu du réel...




"En 1992, pour passer de cette fascination au questionnement, comme une quête et un défi, j'ai, en imaginant leur portrait, tenté de représenter l'infigurable, chercher comment faire image de chairs qui aspirent à se désincarner, comment exprimer ces contradictions intenses, ces paradoxes spirituels et charnels, ces corps masqués et dévoilés traversés de plaisir et d'angoisse, de désir et de rejet. De cette recherche qui s'est développée durant plusieurs années parallèlement à d'autres réalisations, me reste aujourd'hui une centaine de dessins et de croquis préparatoires et les portraits en pied, grandeur nature, des sept qui m'ont le plus passionné: Marie-Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila, Marie de l'Incarnation, Madame Guyon. Ces sept dessins- qui sont traversés d'une dynamique qui suggère un mouvement d'élévation- se reflètent dans un plan d'eau qui symétriquement les inscrit dans la profondeur. "




Ernest Pignon Ernest



"L'eau:fiction du transvasement entre l'être et l'Innomable intime, entre le milieu extérieur et 'l'organe' d'un intérieur sans organes, entre le Ciel du Verbe et le vide d'un corps féminin avide"


Julia Kristeva, Thérèse mon amour







Photographies, Chapelle Sainte Charles, Avignon 2008, site de Ernest Pignon Ernest, cliquez sur Extases.






*dans l'émission de Catherine Pont-Humbert sur  France Culture,
 A voix nue. Sur le site de Ernest Pignon Ernest,
 cliquez sur écouter dans Lire, écouter, voir,
 puis sur 2- Faire l'amour à l'amour même.




7.3.13

Delusion. Franck Evennou's Whimsical Contrasts of Scale






























In his last exhibition Artefact sculptor Franck Evennou played with form, mass and scale to evoke the artefacts of a fancy civilisation. For more than two decades he has been consistently  questioning our sense of proportion. Whatever his choice of medium- either with photography, pieces of furniture, jewelry or drawings- his work is an ode to incandescent matter and pure energy.  




Ville imaginaire, site archéologique, ruines de Tipaza, d’Herculaneum ou de Tarquinia, ville du passé ou ville futuriste, les sculptures de Franck Evennou évoquent un paysage urbain où l’homme aurait laissé d’étranges traces d’architecture minimale. L’œil écoute, aux aguets, il cherche à capter les passages, les failles, les ruptures, ce moment essentiel où soudain surgit autre chose… Les formes premières que le sculpteur recherche inlassablement ne communiquent entre elles que par le vide qui les sous-tend. Comme en poésie, chaque unité a son indépendance, l’apparition d’une nouvelle unité transforme l’espace qu’elle vient d’ouvrir. Le plus important est invisible, dérobé. L’artiste nous invite à une réflexion sur le passage, la métamorphose, le rythme. Chaque unité est comme une note de musique qui scande le temps, qui approfondit l’espace du dedans, qui accroît la géométrie du monde jusqu’à la démesure. Les codes de la représentation dans l’espace se brouillent, les repères s’évanouissent pour ouvrir vers l’expérience intime d’un infini où bruissent les âmes errantes. 


Texte de J'attends... 
pour le catalogue de l'exposition de
 Franck Evennou, Artefact, décembre 2012



Links: Franck Evennou Artefact 






Galerie Avant-scène
4 place Odéon 
75 006 Paris











5.3.13

Rêve d'eau. Caroushka Streijffert's Summer House in Stockholm Archipelago




Everyone must believe in something. I believe I'll go canoeing. 











































1, 2, 3, 4, 5, 6  Caroushka Streijffert's summer house by photographer Martin Löf
7, 8, 9   Caroushka Streijffert, Objects
10 Caroushka Streijffert, Patterns, Number Count Counting Numbers, Collage and ink patterns on paper, 

© Carouschka 2001



Links:  Interior architect and artist  Caroushka Streijffert





1.3.13

Saisir l'invisible. Les fritillaires, la pintade et l'ethnozoologie de Jean-Marie Lamblard




























Chaque année, je guette l'arrivée des bulbes de fritillaire, je les observe, je les désire, je les admire mais je laisse toujours passer le terme pour m'en procurer un pot. Le temps de les chercher voilà que leur saison, très courte, est déjà passée. On ne les trouve, chez les fleuristes, que pendant deux semaines tout au plus, vers la mi-février. Elles font partie des tout premiers bulbes qui annoncent le premier printemps. Chaque année, je traque les signes de ce moment insaisissable où l'hiver imperceptiblement se transforme en printemps, où la vie silencieuse et cachée de la terre s'apprête à exploser. En ville tout est différent, c'est tout mon système de signes qui est à recomposer. Où trouver les pointes de rhubarbe qui percent sous la neige comme si elles connaissaient le haïku de Bashô? Je ne les ai pas vues à Cologne mais j'ai pu mettre la main sur un pot de fritillaires et j'ai commencé à chercher à me documenter sur ces belles clochettes pourpres tachetées de points blancs qui me font tant rêver. Celles que l'on trouve ici s'appellent Fritillaire pintade ou Fritillaria meleagris. Pas étonnant puisque leur robe rappelle celle de la pintade. Ce nom savant recèle une partie du mystère de cet oiseau, la légende de Méléagre dont les soeurs inconsolables furent transformées en pintade. Encore un exemple de ces petits miracles qui arrivent sur la toile, en cherchant les qualités cachées dont mes fritillaires sont investies par transmutation avec la pindade, j'ai découvert le site de Jean-Marie Lamblard, chercheur en ethnozoologie et auteur de L'Oiseau nègre aux éditions Imago, un trésor d'érudition et de poésie.
Si pour nous la pintade n'évoque que "la bossue" des basse-cours de Jules Renard, cet explorateur ailé des mots et des choses, nous apprend qu'elle vient d'Afrique. Dans la religion vaudou, elle représente les esclaves émancipés en Haïti, dans les emprunts du monde byzantin à la religion chrétienne, elle devient le symbole de la vierge Marie, dans la Grèce antique elle est associée au mythe de Méléagre et de Dyonisos, les peintres du Quattocento vénitiens la placent souvent au premier plan de leurs tableaux soulignant tour à tour sa signification de pureté et de transgression, d'éternité et de renaissance. 
La plupart de ces documents iconographiques ou écrits en font un oiseau de Paradis, un oiseau porte bonheur à l'image des mille perles représentées sur sa robe et de l'abondance de sa ponte, un symbole de résurrection.  


Ca fait bien longtemps que ces petites clochettes m'avaient racontée toutes ces histoires à leur façon, inarticulée mais vibrante. Merci à Jean-Marie Lamblard de s'être fait au travers de sa passion pour les poules d'Abyssinie leur porte-parole. 














Liens: Lettres d'ArchipelSite et bloc-notes de Jean-Marie Lamblard. Histoires, fables et récits, contes et énigmes de Méditerranée
j'ai grandi, Isabelle Niehsen, fleuriste à Cologne






j'ai grandi
 Fleuriste
Rathanau platz 7 
50 674 Köln









*Jean-Marie Lamblard, L'Oiseau NègreL'Aventure des pintades dyonisiaques, Imago, 2003




1&2 Photographies J'attends...
3 Photographie Jean-Marie Lamblard, "Buffon remarque que la pintade porte sur le crâne un casque 'semblable par sa forme à la contre-épreuve du bonnet ducal du doge de Venise, ou, si l'on veut, à ce bonnet mis devant derrière' (De la Peintade, éd. 1771, p. 227.)"
Photographie Jean-Marie Lamblard, Mosaïque de Quasr el-LibiaLibye. Carré n°34 du pavement de l'église de l'évêque Makarios. Deux "poules Numidiques" entourent la Coupe de vie d'où jaillit un grenadier, arbre du Paradis venu des Perses, VIe siècle. 
5 Les Soeurs de Maléagre, dessin de Ernest Pignon ErnestLettres d'Archipel