Il était un grand mur blanc, nu, nu, nu
Merci invite Copenhague à Paris pour son exposition Tak. A cette occasion, le livre que Pierre Rozensztroch vient d'écrire avec son amie d'enfance, Cathie Fidler, Hareng mon amour, est à l'honneur. On connait tous la passion pour les objets du quotidien du directeur artistique de Merci. Objets modestes et banals qu'on ne regarde plus la plupart du temps, mais qui si on sait les écouter bruissent des voix disparues qui les ont portés, utilisés, aimés. Le livre est né de son désir de partager son regard amoureux pour les terrines à poisson qu'il chine depuis 1992, date d'un voyage à Cracovie où il découvre, sur le marché aux puces de la grand place de la Halle des Drapiers, une terrine à harengs sur laquelle est écrit en polonais 'hareng mariné'. Il se souvient alors avoir vu l'objet dans son enfance.
Le hareng est un poisson que j'ai toujours connu. Il était très populaire dans ma famille comme dans de nombreuses cultures du Nord de l'Europe. Le hareng était souvent servi sur nos tables. C'est un poisson modeste. Il faisait partie de l'alimentation quotidienne d'un bon nombre de gens. On le consommait souvent le matin pour le petit déjeuner, pour le déjeuner et pour le diner dans les pays d'Europe Centrale. Quand j'étais enfant le hareng m'horrifiait. Etant sujet à des bronchites répétées, le médecin avait conseillé à ma mère de m'emmener là où l'air était iodé. Habitant alors dans le Sud de la France, nous allions tous les étés séjourner à Scheveningen une petite station balnéaire du Nord de la Hollande. Je me rappelle la manière dont les gens mangeaient le hareng "maatjes" là-bas, un jeune hareng pêché à certaines périodes de l'année. Les gens l'achetaient dans les "baraques" et l'ingurgitaient en le prenant par la queue. Ça me dégoutait ! Comble de l'horreur, ma mère adorait ça ! Elle avait pour habitude à la fin de l'été, de revenir en France avec un petit tonnelet en bois de cinq kilos de maatjes que nous transportions dans le train. J'avais honte et étais effrayé à l'idée que le tonnelet puisse s'ouvrir et répandre une odeur nauséabonde.
Cathie Fidler s'est attachée à rassembler une iconographie riche, peintures, gravures, affiches publicitaires, timbres de collection, cartes postales pour nous rappeler l'histoire du hareng, de sa pêche et de ses traditions dans un périmètre géographique vaste qui déborde l'Europe du Nord et l'Europe Centrale.
Ma vigne à moi, c'est un poisson bleu, de la famille des clupéidés au doux nom de Clupea harengus, j'ai nommé le hareng, un poisson emblématique, iconique, reconnu et pêché depuis des siècles dans toutes les mers froides qui l'hébergent. Il a été adoré et respecté de tous, car c'est un poisson salvateur. C'est un poisson rassembleur. Tous les peuples du monde ont leur histoire du hareng. On en mange aux Philipines, en Haïti, en Nouvelle Écosse, etc. Chacun y a mis sa touche.
Pour ma part, je ne manque jamais à chaque fois que je retourne à Amsterdam, où j'ai vécu plusieurs années, de commencer par une halte à la 'baraque à harengs' qui se trouve sur le Singel quand on arrive de la gare et que l'on se dirige vers le Noordermarkt et son marché bio du samedi matin. Un petit rituel qui me donne la sensation de manger le goût de la Hollande, et me relie à ma grand-mère qui aimait par-dessus tout le hareng saur.
Pour ma part, je ne manque jamais à chaque fois que je retourne à Amsterdam, où j'ai vécu plusieurs années, de commencer par une halte à la 'baraque à harengs' qui se trouve sur le Singel quand on arrive de la gare et que l'on se dirige vers le Noordermarkt et son marché bio du samedi matin. Un petit rituel qui me donne la sensation de manger le goût de la Hollande, et me relie à ma grand-mère qui aimait par-dessus tout le hareng saur.
Les poèmes de Charles Cros et de J.K. Huysmans, odes au hareng saur témoignent de la place toute particulière que le hareng, poisson-roi et allégorie de l'abondance a occupé dans l'imaginaire collectif de la fin du XIXème siècle jusqu'aux crises harenguières des années 70 où le mythe d'une ressource inépuisable s'est effondré. Depuis, la mise en place des quotas a permis de sauver le hareng et l'engagement de chefs tels que Tony Lestienne pour faire connaitre et aimer les produits de la Côte d'Opale dans son restaurant La Matelote à Boulogne-sur-Mer a redonné à ce délaissé une place de choix dans les coeurs et dans les assiettes.
Photos: 1, 2 © Merci; 3 Photographe inconnu, Haringkar, Rotterdam, 1937 © Collectie Spaarnestad
Cathie Fidler, Pierre Rozensztroch, Herring A Love Story, Pointed Leaf Press, December 2014