30.1.15

Pour l'amour du hareng


Il était un grand mur blanc, nu, nu, nu















Merci invite Copenhague à Paris pour son exposition Tak. A cette occasion, le livre que Pierre Rozensztroch vient d'écrire avec son amie d'enfance, Cathie Fidler, Hareng mon amour, est à l'honneur. On connait tous la passion pour les objets du quotidien du directeur artistique de Merci. Objets modestes et banals qu'on ne regarde plus la plupart du temps, mais qui si on sait les écouter bruissent des voix disparues qui les ont portés, utilisés, aimés. Le livre est né de son désir de partager son regard amoureux pour les terrines à poisson qu'il chine depuis 1992, date d'un voyage à Cracovie où il découvre, sur le marché aux puces de la grand place de la Halle des Drapiers, une terrine à harengs sur laquelle est écrit en polonais 'hareng mariné'. Il se souvient alors avoir vu l'objet dans son enfance. 

Le hareng est un poisson que j'ai toujours connu. Il était très populaire dans ma famille comme dans de nombreuses cultures du Nord de l'Europe. Le hareng était souvent servi sur nos tables. C'est un poisson modeste. Il faisait partie de l'alimentation quotidienne d'un bon nombre de gens. On le consommait souvent le matin pour le petit déjeuner, pour le déjeuner et pour le diner dans les pays d'Europe Centrale.  Quand j'étais enfant le hareng m'horrifiait. Etant sujet à des bronchites répétées, le médecin avait conseillé à ma mère de m'emmener là où l'air était iodé. Habitant alors dans le Sud de la France, nous allions tous les étés séjourner à Scheveningen une petite station balnéaire du Nord de la Hollande. Je me rappelle la manière dont les gens mangeaient le hareng "maatjes"  là-bas, un jeune hareng pêché à certaines périodes de l'année. Les gens l'achetaient dans les "baraques" et l'ingurgitaient en le prenant par la queue. Ça me dégoutait ! Comble de l'horreur, ma mère adorait ça ! Elle avait pour habitude à la fin de l'été, de revenir en France avec un petit tonnelet en bois de cinq kilos de maatjes que nous transportions dans le train. J'avais honte et étais effrayé à l'idée que le tonnelet puisse s'ouvrir et répandre une odeur nauséabonde. 

Cathie Fidler s'est attachée à rassembler une iconographie riche, peintures, gravures, affiches publicitaires, timbres de collection, cartes postales pour nous rappeler l'histoire du hareng, de sa pêche et de ses traditions dans un périmètre géographique vaste qui déborde  l'Europe du Nord et l'Europe Centrale.

Ma vigne à moi, c'est un poisson bleu, de la famille des clupéidés au doux nom de Clupea harengus, j'ai nommé le hareng, un poisson emblématique, iconique, reconnu et pêché depuis des siècles dans toutes les mers froides qui l'hébergent. Il a été adoré et respecté de tous, car c'est un poisson salvateur. C'est un poisson rassembleur. Tous les peuples du monde ont leur histoire  du hareng.  On en mange aux Philipines, en Haïti, en Nouvelle Écosse, etc. Chacun y a mis sa touche.

Pour ma part, je ne manque jamais à chaque fois que je retourne à  Amsterdam, où j'ai vécu plusieurs années, de commencer par une halte à la 'baraque à harengs' qui se trouve sur le Singel quand on arrive de la gare et que l'on se dirige vers le Noordermarkt et son marché bio du samedi matin. Un petit rituel qui me donne la sensation de manger le goût de la Hollande, et me relie à ma grand-mère qui aimait par-dessus tout le hareng saur. 





Stubbe Haring
Singel Haarlingersluis 
1013 GA Amsterdam Centrum 







Les poèmes de Charles Cros et de J.K. Huysmans, odes au hareng saur témoignent de la place toute particulière que le hareng, poisson-roi et allégorie de l'abondance a occupé dans l'imaginaire collectif de la fin du XIXème siècle jusqu'aux crises harenguières des années 70 où le mythe d'une ressource inépuisable s'est effondré. Depuis, la mise en place des quotas a permis de sauver le hareng et l'engagement de chefs tels que Tony Lestienne pour faire connaitre et aimer les produits de la Côte d'Opale dans son restaurant La Matelote à Boulogne-sur-Mer a redonné à ce délaissé une place de choix dans les coeurs et dans les assiettes. 




Photos:  1, 2  © Merci; 3 Photographe inconnu, Haringkar, Rotterdam, 1937 © Collectie Spaarnestad



Cathie Fidler, Pierre Rozensztroch, Herring A Love Story, Pointed Leaf Press, December 2014




26.1.15

Max Lamb's Handmade Brutalism


There’s a different quality to handmade objects. 
There’s a person behind the handmade – and we crave that humility. 

Max Lamb





























Max Lamb est un jeune designer anglais né en Cornouailles. De cette terre de sable, de ciel et d'eau il se souvient de longues journées d'enfance passées à la plage, à chercher des trésors enfouis dans les profondeurs mouvantes, à construire digues, ponts levis, tunnels, bateaux et châteaux de sable. Peut-être est-ce cet inconscient de l'enfance qui le pousse à créer aujourd'hui des objets en jouant  des matériaux bruts qu'il a toujours vus autour de lui, le sable fin de la plage de Caeray ou de Hayle, le bois de chataigner de Springfield Park, les mines de kaolin de St Austell. Une connaissance intime et profonde de la matière, de sa nature et de sa chimie ainsi que des procédés de sa mise en valeur à travers les âges informe son travail de designer-sculpteur. Le fait main, la tradition artisanale ou manufacturière sont à ses yeux des trésors  avec lesquels il renoue près de chez lui, pour le travail de la porcelaine de Staffordshire ou qu'il n'hésite pas à aller chercher très loin, au Japon pour la laque de Wajima, en Chine pour l'exploitation des carrières de granit du village de Pai Fang ou encore en Australie à Hawkesbury pour des savoir-faire retrouvés du temps des premières colonies. Une écoute profondément intuitive des éléments primitifs vent, marée, feu ou temps géologique marque ses interventions au sceau de la poésie et de la rigueur. De toutes ses innovantes pratiques son siège d'étain coulé à même le sable sur la plage de Caeray ne cesse de me ravir et de m'étonner. Parcourir son site en tous sens est une aventure en soi, un voyage immobile.  











1, 2, 3, Crockery pour 1882 ltd © Max Lamb
 6, 7, 8 © Max Lamb et Protein 





14.1.15

Ponctuation Matters


Je peux me consumer de tout l'enfer du monde,
Jamais je ne perdrai cet émerveillement 
Du langage

Aragon









La liberté n'est pas donnée il faut la prendre nous dit Meret Oppenheim. Aujourd'hui plus que jamais sans doute. Plus que jamais sans doute ressentons-nous aujourd'hui l'urgence de vivre et de nous tenir debout. De nous tenir debout avec des mots qui brûlent et des phrases en boucle. Avec des phrases en boucle debout avec des mots plus que jamais. De nous tenir debout dans l'urgence plus que jamais d'attraper la liberté par un bout. A Gertrude Stein plus que jamais debout en boucle par un bout et à jamais parce qu'elle m'a appris la liberté de la ponctuation et de la place des mots de la place des mots en boucle. Debout et par un bout le petit bout avec ou sans virgule avec ou sans point d'interrogation. Si une question est une question pourquoi n'en voir que le bout le petit bout pour en venir à bout. 





There are some punctuations that are interesting and there are some punctuations that are not. Let us begin with the punctuations that are not. Of these the one but the first and the most the completely most uninteresting is the question mark. The question mark is alright when it is all alone when it is used as a brand on cattle or when it could be used in decoration but connected with writing it is completely entirely completely uninteresting. It is evident that if you ask a question you ask a question but anybody who can read at all knows when a question is a question as it is written in writing. Therefore I ask you therefore wherefore should one use the question mark. Beside it does not in its form go with ordinary printing and so it pleases neither the eye nor the ear and it is therefore like a noun, just an unnecessary name of something. A question is a question, anybody can know that a question is a question and so why add to it the question mark when it is already there when the question is already there in the writing. Therefore I never could bring myself to use a question mark, I always found it positively revolting, and now very few do use it.  

...


And now what does a comma do and what has it to do  and why do I feel as I do about them.
What does a comma do.
I have refused them so often and left them out so much and did

without them so continually that I have come finally to be indifferent to them. I do not now care whether you put them in or not but for a long time I felt very definitely about them and would have nothing to do with them.
As I say commas are servile and they have no life of their own, and their use is not a use, it is a way of replacing one’s own interest and I do decidedly like to like my own interest my own interest in what I am doing. A comma by helping you along holding your coat for you and putting on your shoes keeps you from living your life as actively as you should lead it and to me for many years and I still do feel that way about it only now I do not pay as much attention to them, the use of them was positively degrading. Let me tell you what I feel and what I mean and what I felt and what I meant. 



Gertrude Stein, On Ponctuation in Lectures in America, 1935




Photograph: Carl Van Vechten, Portrait of Gertrude Stein, 1934



1.1.15

An Enormously Tiny Bit of a Lot





Bonne année 2015











I wish to all my readers to feel, 

to sense, to taste, 

to breathe and to devour

 the Wild and the Untamed

not just a little bit but

an enormously tiny bit of a lot !











Without me

Anyway without way I came near without bread

Without breath but within with Caspar

With a cake so round through somewhat square

But without growth of grass with scars with warts with fingers

With sticks with many Os and few Gs

But an enormously tiny bit of a lot

Oh fall you down into your hole oh bury you yourself

And your longwinded hope

Give your ego a kick give your id its reward

And whatever is left of you fry it like little fishes in oil

You can peel off your shoes








Photograph, Man Ray. Meret Oppenheim,  Le déjeuner de fourrure, 1936