Elizabeth de Riquet de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe ne suit pas la mode elle la fait. Dans un texte écrit de sa main, elle se met en scène sous les traits d'une femme incomparable : "Elle s’occupe de la mode pour
ne pas la suivre, l’ayant donnée. [...] Elle surprend,
elle étonne comme une fleur rare. Les yeux et les
cœurs, l’amour et la haine volent à elle, l’unique, la
non pareille." Pourra-t-on s'étonner de ce désir farouche de se démarquer quand on sait qu'après une brève lune de miel, son mari est retourné à ses maîtresses sans la distinguer de la cohorte de femmes qui courtisaient ses largesses. Sans dot, le Comte Greffulhe l'avait "acquise" pour sa beauté exceptionnelle et ses hautes origines qui fascinaient ses contemporains. Du côté paternel, elle descend en ligne directe de Madame Tallien, l'immortelle Notre-Dame de Thermidor qui avait su jouer de son entregent pour faire échapper à la guillotine nombre d'aristocrates sous la Terreur, du côté de sa mère, cousine germaine de Robert de Montesquieu, sa lignée remonte aux Mérovingiens. Etouffée par son mari et sa belle-mère toute puissante, elle trouve à s'épanouir dans la seule voie qu'il lui fût permis de prendre, la levée de fonds pour des causes de charité. C'est ainsi qu'elle devient une femme de tête, exceptionnelle organisatrice d'événements jouant un rôle clé dans la vie musicale et intellectuelle de son temps. Elle s'intéresse à tout ce qui est nouveau, soutient les arts et les sciences, Schönberg, Pierre et Marie Curie, Edouard Branly et ses recherches sur la téléphonie. Passionnée de politique, "elle
n’hésite pas à mélanger dans son salon la fine fleur
de l’aristocratie et les ministres ou députés radicaux
et socialistes", ce qui lui vaut d'être l'objet d'une violente campagne de presse l'accusant d'être une Dreyfusarde et une pacifiste à la solde de l'Allemagne. Proclamée par la presse, "la femme la plus trompée de Paris", elle n'a de cesse de rester "unique". Elle a presque quatre-vingts ans quand survient la Seconde Guerre mondiale. "Toujours à la barre du "vaisseau fantôme" de
la rue d’Astorg, elle se replie dans de minuscules
chambres de bonne, plus faciles à chauffer, et fait
installer dans ses vastes salons une cabane en bois
munie d’un radiateur électrique, où elle reçoit ses
amis les plus chers, de l’abbé Mugnier à la reine des
Belges." Jacque-Emile Blanche lui écrit: "Des amis me disent qu’on vous voit dans le
métro, toujours la plus belle [...]Vous êtes la seule
à avoir prévu la catastrophe, l’humiliation de vos
deux patries, Belgique et France, la seule femme de
votre classe ayant la sincérité d’avouer que, privée de
tout, vous ne regrettez pas votre splendeur". Elle a été longtemps éclipsée par la Duchesse de Guermantes, dont elle a été avec Hélène Standish l'une des clés. Proust se serait inspiré de ses traits pour la Princesse de Guermantes et de son élégance particulière pour Odette Swann. Dans les Plaisirs et les Jours, on peut lire ce passage qui a l'éclat triste des reliques : "Sa plus réelle beauté fut peut-être dans mon désir. Elle a vécu sa vie, mais peut-être seul, je l'ai rêvée."
La mode retrouvée
Musée de la Mode
10 avenue Pierre-Ier-de-Serbie 75 016 Paris
jusqu'au 20 mars 2016
Photo 1, 2 René Prou, Cabane pour la Comtesse Greffulhe, 1942
3, 4 Otto (Otto Wegener, dit), Portrait
d’Élisabeth Greffulhe en robe du soir
et cape doublée d’agneau de Mongolie,
vers 1886-1887 Papier albuminé © Otto/Galliera/Roger-Viollet