24.11.12

Vertige fractal. Bleu Fortuny et rose Tiepolo






























A la recherche du fil perdu... Glanage quotidien... Sur les traces de Carpaccio, Fortuny, Marcel Proust et Gérard Macé, Venise, 2001 2 Tissu Fortuny, Mes carnets vénitiens 3 Tissu Fortuny, New designs, 5725  Sainte Chapelle urban violet & gold texture,  4 Tissu Fortuny ancien  5  Pascal Dombis Post-Digital Surface, 2011, 6 Isabelle de Borchgrave 7 Pascal DombisTime spirals 2009, The Cat Street Gallery Hong Kong 
Pascal Dombis, Irrational Geometrics, ( K BIII / C BI), 2007 




À tout hasard, je multipliais les gentillesses que je pouvais lui faire. Pour les robes de Fortuny, nous nous étions enfin décidés pour une bleu et or doublée de rose, qui venait d’être terminée. Et j’avais commandé tout de même les cinq auxquelles elle avait renoncé avec regret, par préférence pour celle-là. Pourtant, à la venue du printemps, deux mois ayant passé depuis ce que m’avait dit sa tante, je me laissai emporter par la colère, un soir. C’était justement celui où Albertine avait revêtu pour la première fois la robe de chambre bleu et or de Fortuny qui, en m’évoquant Venise, me faisait plus sentir encore ce que je sacrifiais pour elle, qui ne m’en savait aucun gré. Si je n’avais jamais vu Venise, j’en rêvais sans cesse, depuis ces vacances de Pâques qu’encore enfant j’avais dû y passer, et plus anciennement encore, par les gravures de Titien et les photographies de Giotto que Swann m’avait jadis données à Combray. La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l’ombre tentatrice de cette invisible Venise. Elle était envahie d’ornementation arabe, comme les palais de Venise dissimulés à la façon des sultanes derrière un voile ajouré de pierres, comme les reliures de la Bibliothèque Ambrosienne, comme les colonnes desquelles les oiseaux orientaux qui signifient alternativement la mort et la vie, se répétaient dans le miroitement de l’étoffe, d’un bleu profond qui, au fur et à mesure que mon regard s’y avançait, se changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui, devant la gondole qui s’avance, changent en métal flamboyant l’azur du grand canal. Et les manches étaient doublées d’un rose cerise, qui est si particulièrement vénitien qu’on l’appelle rose Tiepolo.

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, La prisonnière

Henri de Régnier, invité chez la mère de Mariano Fortuny au début des années 1900, décrit un tissu que pourrait bien avoir vu Marcel Proust lors de l'un de ses séjours au Palazzo Martinengo.
"C'est un admirable velours du XVème siècle, d'un bleu sombre gaufré d'arabesques de grand style, un velours d'un bleu étrange, sourd, profond et pur qui est comme le vêtement même de la nuit."

Henri de Régnier, L'Altana ou La vie vénitienne, p.170


Pour son projet, Contraintes vénitiennes, la Mercière ambulante se souvient de sa lecture de Proust.
"Le 20 juillet était le jour choisi pour visiter le Palazzo Fortuny.  Me souvenant que Le manteau créé par Fortuny, pour Albertine, dans  La Recherche du temps perdu était bleu, je décidai, sur le parcours, de ne ramasser que du fil bleu. "

En suivant le fil rouge d'une recherche sur les broderies de Louise Bourgeois, j'ai trouvé, par un heureux hasard auquel les anglophones donne le joli nom de serendipity, le blog de Marie-France Dubromel, Mercerie ambulante. Artiste textile, elle se définit comme une glaneuse de menus objets de rebut, de chiffons, de bouts de fils, de reliques. Mais l'heureuse trouvaille ne s'est pas arrêtée là. Alors que je tissais la trame de ce petit billet, une visite rendue hier à la Galerie IBU m'a fait découvrir le travail de Pascal Dombis, artiste fractaliste. Il ne me manquait que quelques fils pour finir de tisser ce petit fragment digital sous le signe du collage et de l' aléatoire, proliférant et chaotique à l'oeuvre sur la toile. Lorsque des dizaines de pages et de signets sont ouverts et se font signe et que les navettes  glissent entre les fils de chaine sans plus se soucier de notre fil d'Ariane, le texte se fait tissu pour mieux se jouer de l'étymologieComme dans le passage de Proust où les couleurs se confondent par transmutation, le rouge s'est perdu provisoirement dans le  bleu.




Pascal Dombis Solo Show 
Jardins du Palais Royal
166 Galerie de Valois
75001 Paris
18 octobre 2012 - 12 janvier 2013

Contact: Cyril Ermel












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