10.7.12

Images du secret. Tiroirs, coffres, serrures et armoires. Les meubles de carton d'Amélie Dillemann





















1 Photographie, galerie de photos Amélie Dillemann, Valérie Martinez agent
 2&5 Clefs et serrures en carton d'Amélie Dillemann, exposition Clairs-obscurs chez Caravane
2&4 Photographie Marie-Pierre Morel pour Elle Décoration, visite privée chez Amélie Dillemann


Arte povera: avant, et autant, qu'une région de l'art contemporain, ce fut, comme l'on sait l'humble et admirable savoir-faire des laqueurs du XVIIIème siècle vénitien, qui parvinrent à sublimer l'objet le plus commun, et le mobilier ordinaire: là encore à coups de ciseaux et de papier, d'applications et de découpes.

Dessinatrice, graphiste, modéliste, décoratrice, architecte d'intérieur, ornemaniste: Amélie Dillemann appartient en même temps au clan bien français des bricoleurs de génie, de ces artistes qui se font une joie de tirer le plus du moins, d'exalter la nature du matériau le plus trivial: ce sont les objets en débourre-pipe de Cocteau, les sylphes d'écorce de bouleau de Janine Janet, les décors d'Annie Beaumel, les osiers sophistiqués de Lina Zervudachi, pour n'en donner que quelques exemples. Scénographes de l'éphémère qui forcent le respect d'exposer ainsi le travail de leur imagination au risque de l'effacement et de la destruction.

Cela a son prix. On se hâte de conclure que ce qui est fait de rien ne vaut pas grand chose, que l'objet de peu demande peu. C'est l'inverse qui est vrai. Et c'est pour cela qu'Amélie Dillemann choisit facétieusement de "disparaître": offrant au visiteur le musée de son travail, l'archive de son imaginaire. Sacs et meubles de carton découpé, déjà célèbres, cabinets hollandais qui ne pèsent rien, théâtres de papier, restes d'anciens travaux ou germes de futurs assemblages, bijoux aériens et ailes d'anges: autant de trouvailles et de constructions poétiques face auxquelles on pourra vérifier que les petits riens, c'est déjà beaucoup, comme le dit la chanson. Et aussi, prendre enfin la mesure de l'esprit, à tous les sens du terme, de cette oeuvre à la discrète virtuosité."
  
 Patrick Mauriès







Exposition Amélie Dillemann, Disparition, 1967-2012
 à la Galerie F. de Nobele 
du 7 juin au 14 juillet 2012


Galerie de Nobele 2, rue de Bourbon Le Château, Paris VI




L'armoire et ses rayons, le secrétaire et ses tiroirs, le coffre et son double fond sont de véritables organes de la vie psychologique secrète. Sans ces "objets" et quelques autres aussi valorisés, notre vie intime manquerait de modèle d'intimité. Ce sont des objets mixtes, des objets sujets. ils ont comme nous, par nous, pour nous,  une intimité. 

Est-t-il un seul rêveur de mots qui ne résonnera pas au mot armoire? Armoire, un des grands mots de la langue française, à la fois majestueux et familier. Quel beau et grand volume de souffle! Comme il ouvre le souffle avec l' a de sa première syllabe et comme il le ferme doucement, lentement en sa syllabe qui expire. On n'est jamais pressé quand on donne aux mots leur être poétique. Et l'e d'armoire est si muet qu'aucun poète ne voudrait le faire sonner. C'est peut-être pourquoi, en poésie, le mot est toujours employé au singulier. Au pluriel la moindre liaison lui donnerait trois syllabes. Or, en français les grands mots, les mots poétiquement dominateurs n'en ont que deux.
Et à beau mot, belle chose. Au mot qui sonne gravement l'être de la profondeur. Tout poète des meubles-- fut-ce un poète en sa mansarde, un poète sans meuble-- sait d'instinct que l'espace intérieur à la vieille armoire est profond. L'espace intérieur à l'armoire est un espace d'intimité, un espace qui ne s'ouvre pas à tout venant.

Gaston Bachelard, La poétique de l'espace, p 83









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