1.11.13

Cadavres exquis. En Sicile avec Leonardo Sciascia et Francesco Rosi

Due cose belle ha il mondo: amore e morte.

Giacomo Leopardi















En Sicile, les morts sont partout présents, sans cesse rappelés aux vivants. Leurs noms placardés sur des affiches sur les murs de la ville, s'envolent en lambeaux de papier. Les rues murmurent leurs noms, se souviennent de leur anniversaire, de leurs amis, de leurs parents. A Palerme, des rites ancestraux et primitifs se sont transmis et perpétués jusqu'à aujourd'hui; le jour de la fête des morts, dans la nuit du premier au deux novembre, les parents offrent des douceurs et des cadeaux aux enfants en leur disant qu'ils ont été apportés par les défunts. On sait à quel point en Sicile la famille est toute puissante. Peut-être est-ce là une manière de renforcer le sentiment de filiation et d'appartenance à une lignée. Aujourd'hui encore on mange des dolci à forme humaine, I Pupa ri zuccaru, petites marionnettes en sucre et la mustazzuola censée représenter les os des morts. 
Même si les morts n'ont plus de voix, n'ont plus de visages, ils continuent de vivre, de penser, de parler en nous et à travers nous. Ils nous frôlent de leur présence invisible et nous envoient des signes transparents. Les morts nous tiennent éveillés à nous-mêmes, nous obligent à prendre nos responsabilités de vivants. Les morts ne sont pas la mort, les morts sont les vivants de l'ombre. L'âme des morts est écrite, calligraphiée dans les livres, elle n'attend aucune résurrection parce qu'elle se sent heureuse de cette vie de chiffon. En lisant à haute voix leurs mots ou en accueillant leur silence, nous faisons passer par notre bouche ce souffle, cette respiration qui est la leur, juste un petit rien dans la bouche, comme un goût de l'autre monde. La fin d'une civilisation ne serait-elle pas de repousser ses morts dans un territoire de l'inexistence, de refuser de les accueillir et de vivre avec eux?


Dans le film de Francesco RosiCadaveri eccelenti, adapté du roman de Leonardo Sciascia, Il contesto, le générique du film s'ouvre sur un long travelling dans les Catacombes des Capucins, la caméra s'attarde sur les visages de morts embaumés et sur la béance effroyable de leur bouche, un puits insondable de mystère ouvert sur la perte du corps.





        








Bruno Caruso, portrait de Leonardo Sciascia
2 Sur les murs de Modica, octobre 2013. Photo J'attends...




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