Dans la montagne la chaleur était tellement sans recours qu'on la supportait presque mieux qu'en bas, qu'au bord de la mer. Là elle était face à vous, dans une hostilité loyale, sans appel.
--J'ai peur des abeilles, dit Sara.
-- De quoi tu n'as pas peur, dit Diana.
--Marche derrière moi, dit Gina.
Elle se mit sur le côté et la laissa aller derrière elle.
Il y a aussi l'angoisse du soleil, dit Diana. Je ne savais pas avant de venir dans ce pays.
Marguerite Duras
38° C à Senlis. L'air est sec, brûlant et vénéneux. Dans cette petite ville de province où tout semble mesuré, voilà soudain l'excès, la démesure. Soudainement une grande dune de sable blanc a pris la place de la cathédrale de pierre grise et moisie. Le soleil est devenu l'ennemi.
Je relis Les Petits chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras. Rien. C'est un livre fait de presque rien. Des dialogues de tous les jours, des verres de Campari bus à toute heure, un fleuve qu'un passeur fait traverser, une chaleur écrasante, la montagne qui s'enflamme et la mer qui épuise, un petit village du Sud de l'Italie. Deux couples fatigués l'un de l'autre cherchent des vacances à l'amour. D'où vient la magie, l'envoûtement de l'écriture de Duras? D'où vient qu'on ne peut épuiser ce texte, qu'il résiste à chaque nouvelle lecture, que son mystère est toujours vivant, toujours recommencé. Comment Marguerite Duras s'y prend-elle pour organiser ainsi la disparition du sens, pour le diluer dans le désir des fresques de Tarquinia?
-- Bonsoir, dit-il. Je ne sais pas pourquoi, les boules ça m'ennuie ce soir.
-- On parlait d'un petit voyage qu'on pourrait faire à Paestum dit Sara,
-- C'est très beau Paestum, dit Ludi.
-- Tu pourrais venir avec nous, dit Jacques. On s'arrêterait à Tarquinia.
Sara reconnaissait mal la voix de Jacques. Il parlait d'un ton harassé.
C'est une bonne idée Tarquinia, dit Ludi.
Vous allez voir ces petits chevaux des tombes étrusques. Ils sont beaux comme je ne sais pas quoi. (...)
-- Trop tard, dit l'épicier. C'est par amour qu'on va dans les villes, par amour de l'amour, quoi. Ah! ce que je les ai aimées les villes, à la folie. J'ai fait pendant très longtemps des rêves en couleur de villes imaginaires où j'aurais circulé librement, à l'aventure. Mais les rêves n'ont pas suffi et je suis devenu un peu méchant. (...)
-- Il n'y a pas de vacances à l'amour, dit-il, ça n'existe pas. L'amour il faut le vivre complètement avec son ennui et tout, il n'y a pas de vacances possibles à ça.
Il parlait sans la regarder face au fleuve.
-- Et c'est ça l'amour, s'y soustraire, on ne peut pas. (...)
Marguerite Duras, Les petits chevaux de Tarquinia, 1953
1&2 Tarquinia, Fresque de la tombe du Baron, Nécropole de Monterozzi
2 Les chevaux ailés de Tarquinia
3 Le temple de Poséidon à Paestum
For English readers, see on Google books, The little horses of Tarquinia translated by Ann Lenore Derrickson.
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