Regarder la mer, c’est regarder le tout. Et regarder le sable, c’est regarder le tout, un tout. C’est à Trouville que j’ai regardé la mer jusqu’au rien.
Marguerite Duras
Marguerite Duras regarde la mer, longuement indéfiniment. Il semble que la mer entre à flots par les hautes fenêtres de son appartement des Roches Noires. Elle regarde la mer infiniment jusqu'à l'engloutissement, jusqu'à la disparition, jusqu'au rien. La mer semble monter par delà le troisième étage, semble dépasser les toits de l'ancien hôtel où jadis Marcel Proust était venu dormir avec sa mère et sa grand-mère. C'est dans l'épouvante et dans l'effroi que MD dit avoir écrit Le ravissement de Lol V Stein à l'été 1963 dans un moment de profonde solitude, d'enfermement et d'isolement. Elle vient de rompre avec Jarlot et sombre dans l'alcool. Trouville c'est le trou noir, le pays sans nom, le pays du tout, du rien et de personne. C'est le retour à la mer de son enfance, aux traumatismes et à la folie de la mère. L'eau c'est le liquide dans lequel baignent toutes les femmes des romans de Duras, l'élément indifférencié dans lequel se dissoudent les identités et les voix. C'est le lieu de la perte de soi et du ravissement, le lieu du "tourment de l'impossible narration" dont parle Blanchot, le lieu des noyés et des sans voix, le lieu de la lucidité limite et de la dépersonnalisation, le lieu du temps qui boucle et de la remémoration sans fin. C'est le lieu du théâtre. Le théâtre de la mer qui rend les corps abandonnés, du flux et du reflux de l'écriture qui reprend les anciens brouillons et les retravaille jusqu'à la limite de l'effondrement. "Ainsi, de juin à octobre, entre Trouville et Paris, Duras s’efforce de faire tomber tout un théâtre de mots dans une prose hallucinatoire, flottante, insaisissable. Elle ne sait pas où elle va, la frontière même entre ses personnages lui devient poreuse, certaines voix interchangeables. Elle a renoncé à "dire" pour "faire résonner", et tourne autour d’un "mot-absence, un mot-trou". Il s’agit pour elle d’atteindre à travers l’écriture un état d’indifférence, une anesthésie des affects, qui n’est pas une maladie : "c’est un état que je pense que beaucoup de gens frôlent".
J’ai toujours été au bord de la mer dans mes livres... J’ai eu affaire à la mer très jeune dans ma vie, quand ma mère a acheté le barrage, la terre du Barrage contre le Pacifique et que la mer a tout envahi, et qu’on a été ruinés. La mer me fait très peur, c’est la chose au monde dont j’ai le plus peur... Mes cauchemars, mes rêves d’épouvante ont toujours trait à la marée, à l’envahissement par l’eau. Les différents lieux de Lol V. Stein sont tous des lieux maritimes, c’est toujours au bord de la mer qu’elle est et très longtemps j’ai vu des villes très blanches, comme ça, blanchies par le sel, un peu comme si du sel était dessus, sur les routes et les lieux, où se déplace Lola Valérie Stein... C’est très tard que je me suis aperçue que ce n’était pas S. Thala, mais Thalassa.
Marguerite Duras, entretien avec Michelle Porte, Les lieux de Marguerite Duras, 1976
Lol V. Stein c'est quelqu'un qui réclame qu'on parle pour elle sans fin, puisqu'elle est sans voix. C'est d'elle que j'ai parlé le plus, et c'est elle que je connais le moins. Quand Lol V. Stein a crié, je me suis aperçue que c'était moi qui criais. Je ne peux montrer Lol V. Stein que cachée, comme le chien mort sur la plage.
Marguerite Duras, entretien avec Catherine Francblin, Art Press International, janvier 1979.
ahh j'aime, j'adore....
ReplyDeleteEt Marguerite.... Maintenant j'ouvre ton blog presque tous les matins !