1.3.13

Saisir l'invisible. Les fritillaires, la pintade et l'ethnozoologie de Jean-Marie Lamblard




























Chaque année, je guette l'arrivée des bulbes de fritillaire, je les observe, je les désire, je les admire mais je laisse toujours passer le terme pour m'en procurer un pot. Le temps de les chercher voilà que leur saison, très courte, est déjà passée. On ne les trouve, chez les fleuristes, que pendant deux semaines tout au plus, vers la mi-février. Elles font partie des tout premiers bulbes qui annoncent le premier printemps. Chaque année, je traque les signes de ce moment insaisissable où l'hiver imperceptiblement se transforme en printemps, où la vie silencieuse et cachée de la terre s'apprête à exploser. En ville tout est différent, c'est tout mon système de signes qui est à recomposer. Où trouver les pointes de rhubarbe qui percent sous la neige comme si elles connaissaient le haïku de Bashô? Je ne les ai pas vues à Cologne mais j'ai pu mettre la main sur un pot de fritillaires et j'ai commencé à chercher à me documenter sur ces belles clochettes pourpres tachetées de points blancs qui me font tant rêver. Celles que l'on trouve ici s'appellent Fritillaire pintade ou Fritillaria meleagris. Pas étonnant puisque leur robe rappelle celle de la pintade. Ce nom savant recèle une partie du mystère de cet oiseau, la légende de Méléagre dont les soeurs inconsolables furent transformées en pintade. Encore un exemple de ces petits miracles qui arrivent sur la toile, en cherchant les qualités cachées dont mes fritillaires sont investies par transmutation avec la pindade, j'ai découvert le site de Jean-Marie Lamblard, chercheur en ethnozoologie et auteur de L'Oiseau nègre aux éditions Imago, un trésor d'érudition et de poésie.
Si pour nous la pintade n'évoque que "la bossue" des basse-cours de Jules Renard, cet explorateur ailé des mots et des choses, nous apprend qu'elle vient d'Afrique. Dans la religion vaudou, elle représente les esclaves émancipés en Haïti, dans les emprunts du monde byzantin à la religion chrétienne, elle devient le symbole de la vierge Marie, dans la Grèce antique elle est associée au mythe de Méléagre et de Dyonisos, les peintres du Quattocento vénitiens la placent souvent au premier plan de leurs tableaux soulignant tour à tour sa signification de pureté et de transgression, d'éternité et de renaissance. 
La plupart de ces documents iconographiques ou écrits en font un oiseau de Paradis, un oiseau porte bonheur à l'image des mille perles représentées sur sa robe et de l'abondance de sa ponte, un symbole de résurrection.  


Ca fait bien longtemps que ces petites clochettes m'avaient racontée toutes ces histoires à leur façon, inarticulée mais vibrante. Merci à Jean-Marie Lamblard de s'être fait au travers de sa passion pour les poules d'Abyssinie leur porte-parole. 














Liens: Lettres d'ArchipelSite et bloc-notes de Jean-Marie Lamblard. Histoires, fables et récits, contes et énigmes de Méditerranée
j'ai grandi, Isabelle Niehsen, fleuriste à Cologne






j'ai grandi
 Fleuriste
Rathanau platz 7 
50 674 Köln









*Jean-Marie Lamblard, L'Oiseau NègreL'Aventure des pintades dyonisiaques, Imago, 2003




1&2 Photographies J'attends...
3 Photographie Jean-Marie Lamblard, "Buffon remarque que la pintade porte sur le crâne un casque 'semblable par sa forme à la contre-épreuve du bonnet ducal du doge de Venise, ou, si l'on veut, à ce bonnet mis devant derrière' (De la Peintade, éd. 1771, p. 227.)"
Photographie Jean-Marie Lamblard, Mosaïque de Quasr el-LibiaLibye. Carré n°34 du pavement de l'église de l'évêque Makarios. Deux "poules Numidiques" entourent la Coupe de vie d'où jaillit un grenadier, arbre du Paradis venu des Perses, VIe siècle. 
5 Les Soeurs de Maléagre, dessin de Ernest Pignon ErnestLettres d'Archipel






2 comments:

  1. Votre article fut un régal. je découvre ces fleurs, délicates, qui m'avaient échappé. et , la magie opérant, je retrouve ces pintades tellement souvent observées quand j'habitais le Maroc, leurs plumes élégantes, leur drôle de capuchon médiéval. elles se mettent tout à coup à me raconter leur histoire.
    Un grand Merci. encore une fois.

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    1. Merci encore une fois de ce petit signe et de l'évocation de ces pintades du Maroc qui me font voyager. Continuons à faire circuler les histoires et à partager nos regards.

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