10.12.13

The Search For Home. Claudia Drake's Collages


Non seulement nos souvenirs mais nos oublis sont logés. Notre inconscient est logé. Notre  âme est une demeure. Et en nous souvenant des maisons, des chambres, nous apprenons à demeurer en nous-mêmes.

 Gaston Bachelard





1991, atelier de Brooklyn. Je suis intrigué par la maquette en plâtre d'une grande maison ancienne posée sur une table devant la fenêtre. Je suis surpris par la précision de la facture, d'un réalisme inhabituel. 
"C'est la maison de mes parents à Choisy, je l'ai refaite de mémoire et en m'aidant de photographies, mais il y a ici un espace dont je ne me souviens pas très bien, dit-elle en désignant une terrasse au deuxième étage. Ce n'était pas symétrique. Il faudrait vérifier, pouvez-vous y aller quand vous serez à Paris, prenez des photos, je dois absolument vérifier comment c'était exactement." (Louise Bourgeois n'est plus jamais revenue en Europe après l'inauguration, en 1990, de sa rétrospective à Lyon, puis à Barcelone). De retour à Paris, je suis allé à Choisy, Louise m'avait donné l'adresse, 4 avenue de Villeneuve-Saint-Georges à Choisy-le-Roy. Mais déception, la maison n'existait plus, elle avait été détruite et remplacée par un Théâtre baptisé du nom de Paul Eluard. Quand Louise Bourgeois a une idée en tête, elle ne pense plus qu'à cela. A cette époque, elle recevait aussi régulièrement la visite de Mâkhi Xenakis qui vivait alors à New-York. Louise envoya aussi Mâkhi à la recherche de la maison de Choisy. Mâkhi prit des photos de ce qui restait: un bout de jardin, quelques arbres ayant survécu, envoya les photographies à Louise, puis lui téléphona pour lui expliquer la situation. Mâkhi raconte que Louise resta muette. Quelques semaines plus tard, de retour à New-York, me trouvant de nouveau devant la maquette de la maison, je commente  la situation et naïvement je lui dis: "Mais elle est très bien comme ça votre maison, le souvenir est plus important que la réalité, la maison dont vous vous souvenez c'est vraiment votre maison." Elle se fâche: "Vous n'avez rien compris, ça ne doit pas être seulement à peu près exact,ça doit être absolument exact."
La maison est demeurée ainsi, elle a été refaite en marbre blanc, elle trône derrière le grillage d'une cellule, surmontée du couperet d'une guillotine. le couperet du présent qui relègue le passé. C'est la Cellule Choisy. (...)

*

"I need my memories, they are my documents", elle l'a écrit, elle l'a même brodé en rouge. Son oeuvre se fonde sur les souvenirs, mais il faut des documents, des preuves tangibles. La mémoire est infidèle et l'infidélité n'est pas tolérable.



Jean Frémon, Louise Bourgeois femme maison, L'échoppe, 2008



 Claudia Drake, The Search for Home, 2009
Digital Collage, 8” x 10”, Limited Edition Print




2 comments:

  1. Encore une fois, votre article m'a passionnée. je me suis plongée dans la lecture de Jean Frémon. une heureuse découverte que je vous dois. Merci. Je vous souhaite au passage de bonnes fêtes de fin d'année et demeure dans l'attente de vos articles qui sont toujours de purs moments de plaisir.

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  2. Chère Cat, je suis heureuse de vous avoir fait faire cette découverte que je tiens moi-même d'une suggestion de Valéry Lorenzo dans un commentaire qu'il a fait sur ce blog. C'est magnifique que les mots circulent ainsi. J'ai trouvé le texte de Jean Frémon tellement pudique et d'une si profonde intelligence...
    Pardon de cette réponse si tardive.

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