Tout chante un opéra mystérieux ici.
Victor Hugo , La Forêt mouillée
"Au signal donné par le moineau, un mouvement extraordinaire agite la forêt. Il semble que tout s'éveille et se mette à vivre. Les choses deviennent des êtres. Les fleurs prennent des airs de femmes. On dirait que les esprits des plantes sortent la tête de dessous les feuilles et se mettent à jaser. Tout parle, tout murmure, tout chuchote. Des querelles ça et là. Toutes les tiges se penchent pêle-mêle les unes vers les autres. Le vent va et vient. Les oiseaux, les papillons, les mouches vont et viennent. Les vers de terre se dressent hors de leurs trous comme en proie à un rut mystérieux. Les parfums et les rayons se baisent. Le soleil fait dans les massifs d'arbres tous les verts possibles. Pendant toute la scène, les mousses, les plantes, les oiseaux, les mouches se mêlent en groupes qui se décomposent et se recomposent sans cesse. Dans des coins, des fleurs font leur toilette, les joyeuses s'ajustant des colliers de gouttes de rosée, les mélancoliques faisant briller au soleil leur larme de pluie. L'eau de l'étang imite les frémissements d'une gaze d'argent. Les nids font de petits cris. Pour le voyant, c'est un immense tumulte; pour l'homme, c'est une paix immense."
Tandis que toute la forêt s'agite et frémit au retour du printemps, Dénarius, un dandy ridicule et pédant se targue d'être insensible aux femmes et à l'amour. Ce gandin ne voit dans la nature qu'un miroir de chasteté et de silence quand chaque petit être végétal ou animal se déchaîne et s'ébat dans un désordre tapageur. Toute cette "marmaille vive et leste" dotée de parole et de raison s'entend pour lui donner une leçon.
Victor Hugo fait mine d'écrire une parodie de fantaisie shakespearienne bien loin de la bienséance du théâtre classique, où se juxtaposent clichés poétiques, références décalées à la culture classique, malentendus et doubles sens graveleux à la manière d'un vaudeville, cependant son texte travaille en profondeur la question de notre rapport au monde et à ses mystères. Entre ombre et lumière, visible et invisible la nature, "effrayant abîme", pourrait devenir le théâtre de rédemption de l'homme aveugle et ignorant.
La forêt mouillée est une fantaisie peu connue du Théâtre en liberté de Victor Hugo. Sa distribution qui a la particularité de faire la part belle aux animaux et aux végétaux, était considérée injouable par l'auteur. Ecrite pendant ses années d'exil à Guernesey et restée inédite jusqu'à sa parution posthume en 1886, cette pièce a fait à ce jour l'objet de deux mises en scène; sa création en 1930 à La Comédie Française et son adaptation en spectacle musical par Bernard Turle lors du Festival de Carnoules, le WEM6, en 2002. Ces deux expériences scéniques ont été le sujet d'une étude par Sylvianne Robardey-Eppstein, Virtualités et limites de l’animisme sur scène : le cas de La Forêt mouillée de Victor Hugo.
1 Victor Hugo, dessin de l'Album spirite, BNF manuscrits, NAF 13353, fol.3.
Lors de la séance spirite du 4 avril 1854, le Lion d'Androclès demande à Charles Hugo et Théophile Guérin de lui donner un crayon; ceux-ci installent une table ayant pour troisième pied un crayon, et la table s'agite et se met à dessiner.
2 Gérard Traquandi, Untitled - 2005; Ink and pencil on paper. 48 x 33 cm
4 Franck Evennou, Arbre, forêt d'Ermenonville, 2010
Liens: Gérard Traquandi, Galerie Laurent Godin, Paris
Je ne connaissais pas du tout...
ReplyDeleteOn pourrait une nouvelle fois prendre modèle sur la nature pour apprendre à communiquer et améliorer notre genre humain...