6.12.14

Et les fruits passeront les promesses des fleurs. Clémence Veilhan's Ode to Loss













Il y a un mystère des corps, de la transformation, du devenir. Il y a des questions qui semblent si évidentes qu'il serait gênant de les poser. Où est la petite fille qui était nous, où est la vieille femme qui chaque jour prend la place de l'enfant? Où vont les corps qui se transforment, que sont devenues ces petites mains rondes et potelées, ce regard transparent, cette petite tête pensive?
Les robes, les vêtements, sont des peaux qui gardent la trace des corps, des peaux qui transforment la personne, la personnalité. Que devient-on dans la robe de l'autre, dans la peau de l'autre? Est-ce que les mémoires s'échangent? Est-ce que le temps change son cours? Est-ce que les gestes, la voix, les pensées bougent? Pourquoi garder certains vêtements comme des reliques, comme les gardiens d'un moment qui ne sera plus jamais. Pourquoi cette douleur à se séparer de vieilles gangues?
Dans sa série Je n'ai jamais été une petite fille, la photographe Clémence Veilhan pose ces questions peut-être, et d'autres encore quand elle demande à de jeunes femmes d'endosser la robe verte de taffetas, à col claudine de son enfance. La contrainte est toujours la même, enfiler la robe, penser à son enfance. Une pellicule de trente-six poses pour chaque sujet, une photographie argentique avec temps de pose très long. Trente-six poses c'est beaucoup et c'est peu, pour garder une  forme de sacré, une tension, une vérité.
D'ou vient que ces photos exercent un tel envoûtement, un charme si puissant qu'on voudrait pouvoir les regarder longuement, dans la solitude, dans le retour sur soi, sur sa propre enfance. Chaque photo raconte une histoire, les mains les doigts les bras les jambes les pieds parlent. Les visages les yeux les bouches les cheveux disent. Mais on ne voit pas les pieds, ce sont des portraits en plan italien. Et pourtant on voit les pieds, on voit plus que ce qui est montré, on voit loin très loin dans le passé et dans le futur, on voit ce qui n'est pas visible et qui pourtant circule, cette énergie de la robe, cette énergie des intimités qui se brouillent qui se dédoublent qui se superposent et se morcèlent pour mieux se reconstruire, pour nous donner de la joie. Ces femmes qui comme des guirlandes de papier se donnent la main symboliquement, toutes sans exception ont accepté de revêtir cette robe, de partager ces émotions qui les grandissent. A regarder longtemps, à regarder vraiment, un frisson nous parcourt, c'est une véritable anamnèse que la photographe fait advenir dans le mystère de sa chambre noire. Mes mains se sont souvenus, ont soudain pris la pose, ont retrouvé la plasticité de leur cinq ans pour convoquer des souvenirs oubliés, mais pas perdus. Rien ne se perd, tout attend comme le fruit dans le bourgeon.




Galerie Laure Roynette

Et les fruits passeront les promesses des fleurs
20 rue de Thorigny
75003 Paris


29 novembre-31 janvier 2015




2 comments:

  1. "Tout ce qui existe un instant existe pour toujours." Norge

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  2. Chère Katia,
    Votre passage musical à la Chapelle du Couvent des Cordeliers m'a réconfortée. Beaucoup de monde le soir du vernissage mais si peu de musique!
    je souhaiterais vous envoyer un exemplaire de ce "Twentysix other Gasoline Stations" que je viens d'achever.
    si vous voulez bien me communiquer votre adresse postale sur: kty.mart1@gmail.com.
    Amitiés
    Cat

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