7.2.14

Une grande courbe. Jacques Rivette, L'Amour fou




L'amour réciproque, tel que je l'envisage, est un dispositif de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que peut prendre pour moi l'inconnu, l'image fidèle de celle que j'aime, toujours plus surprenante de divination de mon propre désir et plus dorée de vie.

André Breton, L'amour fou, 1937



















Un film est une chose organique. C'est un organisme comme n'importe quel corps. Les corps sont plus ou moins harmonieux, mais ce qui est important, c'est qu'ils marchent, je veux dire: qu'ils soient autonomes, vivants, avec leurs défauts et éventuellement leurs infirmités. C'est mon seul critère dans la préparation, le tournage ou le montage: essayer de faire que ça fasse une grande courbe. 

La révolution esthétique de Jacques Rivette dans L'Amour fou annonce la révolution culturelle qui a suivi mai 68. Un an après le documentaire qu'il a consacré à Renoir en 1966, il reprend et expérimente avec les préceptes du "patron"; ne rien imposer, laisser les choses arriver, faire du cinéma un dialogue avec les acteurs, avec la situation et les imprévus, où l'acte même de filmer devient une part centrale du film. Sébastien Gracq jeune metteur en scène talentueux s'est vu confier la tâche de monter Andromaque en trois semaines. Tandis qu'il se débat avec la sauvagerie des vers de Racine dont il veut restituer la haine, l'amour et la chair, le film montre tour à tour les répétions au théâtre et la chronique de la dissolution du mariage de Claire et de Sébastien. La mise en abyme de la narration, une équipe de télévision dirigée par André Labarthe, le metteur en scène de la série télé Cinéastes de notre temps filme en 16 mm les progrès de la mise en scène, tandis que la caméra 35mm de Rivette tente d'enregistrer les événements de la manière la plus neutre possible en laissant libre cours à l'improvisation des acteurs. Le film explore les motifs de la répétition et de la différence. La métaphore du miroir, la construction circulaire du temps du film, le travail particulier de la bande son, où les bruits se substituent aux voix souvent à la limite de l'inaudible approfondissent l'interrogation sur la possibilité de la représentation de la vérité des émotions, sur l'éthique du cinéma. En ce sens, Jacques Rivette continue de revendiquer le film comme profondément politique.     






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