"We wake, if we ever wake at all, to mystery, rumors of
death, beauty, violence…"
Annie Dillard, Pilgrim at Tinker Creek
1&2 Dessins à l'encre de chine,série Shaman, 2011,16x22cm
3&4 Totems en chêne ,2008,20x20x240cm
5 Gobelet en bronze et feuille d'or blanc, 1989
6&7 Bijoux en argent
8 Poutre sculptée en chêne, 2011,20x130cm9 Os, 2012, 15,5cm
10 Galets gravés, 2012
Photographies, courtesy Frank Evennou
Ce
qui frappe dans l’œuvre de Franck Evennou c’est son foisonnement vivant, sa
capacité de capter l’énergie des matériaux qu’il travaille pour en révéler
l’essence première. Les feuilles de bronze de ses chenets bruissent du vent des
forêts, ses totems sculptés dans le bois proclament la mémoire ancestrale des
chênes. Qu’il cherche à capturer la sylve dans le bronze, les calmes
profondeurs des abysses du monde marin ou le jaillissement d’entités
volcaniques, c’est le mystère du vivant, la violence de l’ici et maintenant
qu’il donne à voir et à sentir.
Son
regard est resté proche de celui de l’enfant qui observait l’infiniment grand
avec la même fascination que l’infiniment petit. "Quand j’étais gamin, je
pensais que les mêmes lois devaient régir l’organisation des étoiles et celle
des fourmilières. Je me disais que nous sommes toujours la fourmi ou le géant
d’un autre ".
Deux
mondes, à des échelles différentes, mais obéissant aux mêmes principes
fondamentaux.
Il
refuse les catégories qui limitent et enferment. "Je voudrais qu’on
comprenne que dessins, bijoux, photographies, mobilier ou sculptures, tout mon
travail procède de la même démarche. Il n’y a pas de frontières entre les
domaines". Il semble à la recherche d’un même souffle, d’un même rythme,
d’une même rigueur et concision des formes et des lignes, d’une même quintessence.
On retrouve dans ses différentes formes d’expression des correspondances
formelles, la ligne d’un dessin à l’encre de chine dans la courbe d’une assise,
dans les "coupes nacre" ou poisson", dans le "miroir volcan", une même figure d’entrelacs court d’une
création à l’autre. C’est qu’il est sans doute un peu chamane et qu’il joue
avec les notions d’échelle, d’espace et de temps pour faire advenir l’échange
entre les différents règnes végétal animal ou minéral, les différentes temporalités, le monde de la
matière et le monde de l’esprit. Il avoue s’intéresser au chamanisme depuis
longtemps. "Le chamane est un intercesseur entre le monde des morts et le
monde des vivants, un passeur de frontières et de territoires entre le visible et
l’invisible. Il est celui qui assure à la communauté les faveurs des esprits et
une chasse favorable". Il se rappelle ses après-midi de petit garçon dans
l’ancien Musée de la Porte Dorée, passés à hanter les salles d’art africain et
océanien. "Je me souviens des salons du Maréchal Lyautey et de Paul
Raynaud, au rez-de-chaussée, aménagés par les grands noms des arts décoratifs,
et les hautes salles d’art africain et océanien, c’était pour moi un univers
merveilleux et mystérieux à la fois avec ces objets rituels porteurs d’une
profonde spiritualité ".
Il y a dans toutes ses pièces,
petites ou grandes, une même expression de monumentalité et de puissance, une
même présence immatérielle, une même énergie incandescente qui rayonne et fait
immanquablement penser aux Vers dorés de Gérard de Nerval: "Un pur esprit
s’accroît sous l’écorce des pierres". Franck Evennou est très attentif au monde
inanimé qui l’entoure, aux petits trésors insignifiants qui font les débris de
notre civilisation. D’un fragment d’écorce, il déploie les plis et drapés d’une
présence féminine, d’un petit os trouvé dans la terre, il fait jaillir un totem
qui paraît surdimensionné, d’une pierre obscure et polie naît un masque
empreint de magie; une collection de coraux patiemment triés et choisis sur une
plage des antipodes révèle d’antiques bustes en miniature. Quelques traces de
fusain ou traits de plume et d’encre suffisent à ces épiphanies. Il faut dire
qu’il pratique le dessin comme une ascèse quotidienne, un relevé de ses états
émotionnels.
Très tôt, lors d’une
exposition au Musée des Arts Décoratifs où il voit exposés côte à côte trois
petits nus sculptés, une Vénus de l’époque préhistorique, une petite ébauche
des années 20 et un objet rituel d’origine africaine, il acquiert la conviction,
devant leur similitude esthétique, qu’au-delà du temps, des espaces
géographiques et des cultures, l’art permet aux êtres humains de communier sur
des enjeux communs. Le catalogue raisonné des œuvres de l’artiste nous parle de
civilisations perdues, de mondes inconnus, de mythes inlassablement réinventés,
de rituels oubliés, toute une archéologie fantasmée de son propre espace
imaginaire. "Ce qui guide mon travail c’est la recherche et la combinaison de
formes premières, de motifs ou de symboles qui peuvent parler à chacun de nous.
Dans l’esprit de Jung, les hommes naissent avec un inconscient collectif, un
fonds commun de formes primitives chargées de spiritualité. Je ne suis pas sûr
que cela soit une réalité mais cette proposition poétique me plaît". Avec
Franck Evennou, on se prend à rêver de mémoires archaïques, de "vastes
portiques", de "palmes", d’un univers originel, de vies
antérieures où "tout y parlerait à l’âme en secret sa douce langue
natale".