En général, l'hétérotopie a pour règle de juxtaposer dans un lieu réel plusieurs espaces qui, normalement, seraient, devraient être incompatibles.(...) Mais peut-être le plus ancien exemple d' hétérotopie serait-il le jardin, création millénaire qui avait certainement en Orient une signification magique. Le traditionnel jardin persan est un rectangle qui est divisé en quatre parties, qui représentent les quatre éléments dont le monde est composé, et au milieu duquel, au point de jonction de ces quatre rectangles, se trouvait un espace sacré: une fontaine, un temple. Et, autour de ce centre, toute la végétation du monde, toute la végétation exemplaire et parfaite du monde devait se trouver réunie. Or, si l'on songe que les tapis orientaux étaient, à l'origine, des reproductions de jardins- au sens strict, des "jardins d'hiver"-, on comprend la valeur légendaire des tapis volants, des tapis qui parcouraient le monde. Le jardin est un tapis où le monde tout entier vient accomplir sa perfection symbolique et le tapis est un jardin mobile à travers l'espace.
Le tapis comme miroir du monde, comme métaphore du jardin, comme paradis portatif, voilà qui enchante quand vient la fin de l'été et des longs jours parfumés de feuilles de figuier, quand le vent dans les branches sonne l'heure de se rencoigner auprès de cheminées et de feux de bois joyeux. Alors, il sera temps de démonter sa cabane, de dérouler ses tapis pour capturer la magie de l'été du monde, de le faire se déplier et revivre un bref instant dans le rituel d'une tasse de thé sur un tapis d'Ispahan. De même que tous les tapis contiennent le monde entier dans sa perfection accomplie, tous les tapis sont en soi des tapis antiques, précieux et délicats d'Ispahan.