…as if I were only a flower after all and not the map of the country in which it grows.
John Ashbery, Three Poems
Quand la carte n'est pas le territoire*
On passe vite, trop vite et pour finir on ne voit rien. On collectionne des traces, des poussières, des intuitions. On les perd, on les classe, on y revient. On s'y perd. On se retrouve sur d'autres voies, d'autres chemins, d'autres liens. L'Hortus Botanicus devient la métaphore du voyage d'aujourd'hui. Les jardins botaniques, les bibliothèques, ces temples de Salomon ne contiennent ni la sagesse, ni la vertu mais la folie d'un acte de pure compulsion. On rapporte des spécimens qu'on garde dans un espace clos, celui de notre mémoire, de la mémoire de notre ordinateur, de notre vision transitoire et passagère d'un lieu, d'un moment donné figé dans iPhoto. On pourrait dresser le catalogue de cette grande bibliothèque des oublis, des manques, des 'mal photographiés', des 'pas vus'. Cette collection toujours infinie que notre désir consume. Ce 'il me les faut toutes', auquel on s'échauffe et on se brûle. Cette frustration inaugurale, ce manque tatoué dans notre ADN, cette tyrannie du désir, c'est la vie toute entière, la nature et son avers, le visible et le non visible que l'on voudrait consigner, épingler, étiqueter. Mais à peine le temps d'un soupir, d'un 'ça y était presque' que ces ailes de papillon tombent en poussière et disparaissent.
2 Hortus Botanicus de Leyde en 1610, gravure de Willem Swanenburgh & Jan Cornelisz
*Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Flammarion, 2010