18.11.14

La Maison dans la tête. Nathalie Granger de Marguerite Duras.


Je pourrais parler des heures de cette maison, du jardin.
 Je connais tout, je connais la place des anciennes portes,
 tout, les murs de l'étang, toutes les plantes;
la place de toutes les plantes,
 même des plantes sauvages je connais la place,
tout. 


Marguerite Duras


































Tout est signifiant chez Marguerite Duras. Le film Nathalie Granger s'ouvre sur un noir, un outrenoir. Il est l'expression d'une quête quasi mystique de MD pour les lieux qu'elle habite. La maison. Ce passage de la lumière à l'ombre. Le film est tourné en noir et blanc, son chef opérateur Ghislain Cloquet capture chaque parcelle de lumière et d'ombre dans des images ensorcelantes. Le chat noir écrit un chemin, comme un pinceau, et nous traversons avec lui la maison de porte en porte. C'est lui qui pointe de ses oreilles attentives cet espace inquiétant et désiré vers le parc, l'étang, la forêt toute proche. 

On croit toujours qu'il faut partir d'une histoire pour faire du cinéma. Ce n'est pas vrai. Pour Nathalie Granger, je suis complètement partie de la maison. Vraiment, tout à fait. j'avais la maison dans la tête, constamment, constamment, et puis ensuite une histoire est venue s'y loger, voyez mais la maison, c'était déjà du cinéma. 

La maison c'est l'enchantement de l'isolement et de la transparence. On est à l'intérieur mais on regarde dehors. Par la radio, le téléphone qui ne sonne que rarement, la visite d'un représentant de commerce, la maison est un organisme vivant, un corps qui respire et qui aspire l'air du large. C'est un endroit vide et puis tout à coup quelqu'un arrive.

Pour L'après-midi de Monsieur Andesmas, j'avais vu cette maison au-dessus de Saint-Tropez que m'avait montrée, vers Gassin, un ami à moi qui venait de l'acheter, il m'a montré l'endroit, sur la colline, face à la mer. C'est un endroit qui m'a frappée et pendant six mois je l'ai eu en tête, vide pendant six mois, vide, et puis tout à coup, il y a quelqu'un qui est arrivé, un très vieil homme, et c'était Monsieur Andesmas. Et j'ai l'impression que si j'attends ici, si je m'enferme ici, des gens vont arriver, ça fera un autre film. Ce n'est pas raisonnable, je ne peux pas en faire six ou sept comme ça à la file. C'est ce que les gens me disent: Tu ne vas pas recommencer encore avec... avec cette maison...

Ce qui est émouvant dans Nathalie Granger c'est de voir la maison de MD avec ses traces, ses mémoires, son silence, ses objets. Il y a la table en bois ciré avec ses chaises en rotin, ses verres bistrot aux bords épais, son sucrier en Vieux Paris, son compotier imprégné de l'odeur des fruits, les miroirs défraichis, le papier peint fatigué, l'électricité aux fils apparents et aux interrupteurs de bakélite, le sol en damier noir et blanc, le vieux piano désaccordé, les canapés défaits aux coussins usés, le buffet rempli de souvenirs, de fleurs séchées, de vieilles photos. Les objets utilitaires ne sont pas méprisés, la lampe de poche accrochée sur le mur d'entrée, la table à repasser, le cendrier, la liste de course figurent en bonne place. On sent l'odeur de la lavande, de la cire et du savon noir.  On sent la présence bienveillante de quelques araignées qu'on a laissé filer. 

Tous les étés on coupe la lavande et on la met là. il y a plusieurs années de lavande là, au-dessus de la porte. C'est à force de regarder le jardin, là, par la porte, là, que j'ai fait Nathalie Granger. Nathalie Granger, pour moi, c'est ça, cette transparence de la pièce en général. 
Vous avez vu les toiles d'araignée, là, dans la grande salle à manger? Qu'est-ce que vous voulez faire, je n'ai jamais trouvé un bâton assez haut pour atteindre le haut, alors on les laisse, on s'y habitue. C'est des préjugés aussi, ça, les toiles d'araignée, c'est finalement assez beau avec une certaine lumière. 


Chaque image, comme autant de vies tranquilles et muettes est un degré du parcours initiatique qui s'accomplit dans la lenteur des pas et des gestes les plus insignifiants et banals du quotidien, débarrasser la table du déjeuner, ramasser les miettes, laver et essuyer la vaisselle, repasser le linge, faire un peu de couture. Sauf qu'ici au pays de Duras, le cours normal des choses frôle toujours la tragédie, le renversement. La violence n'est pas là ou la société la dénonce. Les assassins dont parle la radio sont deux enfants, deux voyous qui ont trouvé refuge dans la forêt de Dreux toute proche, pour échapper à la chasse à l'homme dont ils sont la cible. La forêt c'est le lieu de la folie, de la désobéissance, de l'enfance. C'est aussi la voie de la liberté. C'est l'autre maison, passée de l'autre côté du miroir, toutes portes traversées et toutes murailles abolies, toutes transparences advenues. Car les lieux de Duras sont avant tout pluriels. Ils portent en eux les mémoires archaïques du monde.



Photographies, captures d'écran de Nathalie Granger
Textes en italique, Marguerite Duras, Michelle Porte, Les lieux de Marguerite Duras, 1975 









15.11.14

Les Rêveries de l'eau. Franck Evennou, Au fil de l'eau


Au fond de la matière pousse une végétation obscure ; 
dans la nuit de la matière fleurissent des fleurs noires. 
Elles ont déjà leurs velours et la formule de leur parfum.

Gaston Bachelard, L'Eau et les Rêves


















AU FIL DE L'EAU

Franck Evennou


Avant-scène
4, Place de L'Odéon 
75006 Paris


vernissage mercredi 19 novembre à partir de 18 heures




10.11.14

Function Follows Fairy Tale. Aylin Langreuter's Artificial Obvious


Even the simplest darkness of night whispers suggestion to the mind. 

Annie Dillard, Pilgrim at Tinker Creek





















Unfortunately, nature is very much a now-you-see it now you-don't affair. A fish flashes then dissolves in the water, before my eyes like so much salt. Deer apparently ascent bodily into heaven; the brightest oriole fades into leaves. These disappearances stun me into stillness and concentration: they say of nature that it conceals with a great nonchalance, and they say of vision that it is a deliberate gift, the revelation of a dancer who for my eyes only flings away her seven veils. For nature does reveal as well as conceal: now you don't see it, now you do...
It's all a matter of keeping my eyes open. Nature is like one of those line drawings of a tree that are puzzles for children: can you find hidden in the leaves a duck, a house, a boy, a bucket, a zebra and a boot? Specialists can find the most incredibly well-hidden things...
I squint at the wind because I read Stewart Edward White: "I have always maintained that if you looked closely enough you could see the wind -- the dim hardly-made-out, fine débris fleeing high in the air." White was an excellent observer, and devoted an entire chapter of The Mountains to the subject of seeing deer. "As soon as you can forget the naturally obvious and construct an artificial obvious, then you too will see deer."


Annie Dillard, Pilgrim at Tinker Creek, Seeing



Aylin Langreuter is a multidisciplinary artist based in Bavaria.  With partner industrial designer Dominique de La Fontaine, they created an art/design collective company named Dante-Goods and Bads in 2012. The young brand conscious of its ambitious and fragile endeavour has no other goal than to give life to "objects with qualities above and beyond the substantial" with associative qualities like "emotions, habits, memories, tastes, aversions, the good, the bad, never the ugly." Here is for the statement. Very much impressed by Jean Baudrillard's quote:
"I almost felt as if the object possessed passion at least it seemed to have a life of its own and be able to escape the passiveness of its usage, to achieve a kind of autonomy and maybe even the power to take revenge on a subject that was all too sure of its command."
-- their art aims to voicing the things' demands. Definitely on the side of the object, they strive to give them a sense of family, allowing them a right to growth and expansion.